Mon journal tant que réfugié politique en France
Par Moammar Atwi
𝑨̀ 𝑴𝒂𝒓𝒔𝒆𝒊𝒍𝒍𝒆 : 𝑺𝒖𝒊𝒔- 𝒋𝒆 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒖𝒏𝒆 𝒄𝒂𝒑𝒊𝒕𝒂𝒍𝒆 𝒂𝒓𝒂𝒃𝒆?
𝐂𝐞 𝐧'𝐞́𝐭𝐚𝐢𝐭 𝐩𝐚𝐬 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐨𝐫𝐭 𝐪𝐮𝐞 𝐣𝐞 𝐬𝐮𝐢𝐬 𝐝𝐞́𝐩𝐨𝐫𝐭𝐞́ 𝐝𝐞 𝐁𝐞𝐫𝐧𝐞 𝐚̀ 𝐌𝐚𝐫𝐬𝐞𝐢𝐥𝐥𝐞. 𝐦𝐨𝐧 𝐫𝐞̂𝐯𝐞 𝐞́𝐭𝐚𝐢𝐭 𝐪𝐮𝐞 𝐣𝐞 𝐬𝐞𝐫𝐚𝐢 𝐮𝐧 𝐫𝐞́𝐟𝐮𝐠𝐢𝐞 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐞𝐧 𝐒𝐮𝐢𝐬𝐬𝐞. 𝐌𝐚𝐢𝐬 𝐥𝐞 𝐧𝐞́𝐜𝐞𝐬𝐬𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐜𝐚𝐬 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐦𝐨𝐢 𝐞́𝐭𝐞́ 𝐝𝐞 𝐭𝐫𝐨𝐮𝐯𝐞𝐫 𝐮𝐧 𝐫𝐞𝐟𝐮𝐠𝐞 𝐨𝐮̀ 𝐣𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐢𝐧𝐮𝐞𝐫𝐚𝐢 𝐦𝐚 𝐯𝐢𝐞 𝐥𝐨𝐢𝐧 𝐝𝐞𝐬 𝐦𝐞𝐧𝐚𝐜𝐞𝐬 𝐞𝐭 𝐝𝐚𝐧𝐬 𝐥'𝐚𝐦𝐛𝐢𝐚𝐧𝐜𝐞 𝐝𝐞 𝐥𝐢𝐛𝐞𝐫𝐭𝐞́ 𝐞𝐭 𝐩𝐚𝐢𝐱. 𝐌𝐚 𝐩𝐫𝐞𝐦𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐢𝐦𝐩𝐫𝐞𝐬𝐬𝐢𝐨𝐧 𝐪𝐮𝐚𝐧𝐝 𝐣𝐞 𝐬𝐮𝐢𝐬 𝐚𝐫𝐫𝐢𝐯𝐞́ 𝐚̀ 𝐌𝐚𝐫𝐬𝐞𝐢𝐥𝐥𝐞, 𝐣’𝐞́𝐭𝐚𝐢𝐬 𝐝𝐞́𝐜̧𝐮, 𝐟𝐚𝐭𝐢𝐠𝐮𝐞́ 𝐞𝐭 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐮𝐬𝐞 𝐝𝐞 𝐦𝐚 𝐟𝐮𝐭𝐮𝐫𝐞. 𝐣'𝐚𝐢 𝐞𝐮 𝐛𝐞𝐚𝐮𝐜𝐨𝐮𝐩 𝐝𝐞 𝐝𝐢𝐟𝐟𝐢𝐜𝐮𝐥𝐭𝐞́𝐬.
À midi, ce vendredi 21 octobre 2016, l'avion, venant de Suisse via l’Allemagne, atterrissait sur la piste de l'aéroport de Marignane à Marseille. Ce voyage m'avait été imposé pour respecter le règlement de Dublin qui régit les demandes d’asile au niveau de l’UE. En effet, lorsqu'un migrant demande l'asile dans un pays de l'UE, c'est le premier pays de l'Union Européenne, par lequel il entre qui doit traiter sa demande. J'aurais préféré être accepté en Suisse où ma demande d'asile avait été déposée, le 1er juin 2016. Après avoir attendu, j'ai vu ma demande refusée et j'ai été renvoyé vers Marseille. J'étais ce qu'on appelle « un dubliné » (si une personne est entrée dans l'UE par un de ses pays, elle doit déposer sa demande d'asile dans ce pays européen, elle est alors appelée « dublinée »).La vue de Marseille depuis le ciel était splendide avec la colline sur laquelle se trouve la Basilique Notre- Dame de la Garde qui domine la Méditerranée. Les bateaux de pêche brillent au milieu de la houle. Les petits nuages laissent entrevoir des espaces verts, roches, maisons, routes et lacs. En contrepartie il y avait des nuages de fumées des zones industrielles et des usines polyvalentes. Voici à quoi ressemblait le sud de la France par le hublot de l'avion où je me trouvais.En tant que prisonnier, mais sans menottes, j'ai été embarqué dans l'avion, sur l'aéroport de la ville de Zurich, pour Marseille, via Düsseldorf. Plus étonnant, il y avait un policier français qui m'attendait devant la porte de l'avion. Il m'a parlé en allemand : " Guten Tag Herr Atwi, willkomen in Frankreich". Mon passeport et les documents d'expulsion de Suisse vers la France étaient toujours entre les mains de l'équipage. Comme à Zurich et à Düsseldorf, un policier m'attendait à à la porte de l'avion. Le policier français m'a accompagné en salle d'attente. Il m'a demandé de ne pas la quitter avant la fin de la procédure d'accueil.𝑫𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒂 𝒔𝒂𝒍𝒍𝒆 𝒅'𝒂𝒕𝒕𝒆𝒏𝒕𝒆Après avoir attendu trois heures sans déjeuner, une policière m'a reçu pour remplir les papiers de demandeur d'asile. Heureusement, elle parlait anglais. Je pensais qu'elle était arabe, car elle en présentait les traits. A ce moment-là, je ne savais pas que le destin m'orientait vers cette grande ville française, Marseille, mais cette perspective m'a donné l'espoir d'un avenir pas trop sombre. La policière était stricte, tellement qu'elle ne m'a pas expliqué comment j'allais me rendre dans le centre de Marseille. "Il y a un bus à l'extérieur, bonne chance !" m'avait-elle dit puis, elle a mis fin à la réunion. Je me sentais seul, désorienté, épuisé et perdu en attendant le bus qui devait me conduire vers la gare Saint-Charles. Contrairement aux dispositions suisses, la France était plus flexible, mais plus difficile. La flexibilité était qu'on n'avait pas vérifié ma valise, mes affaires électroniques ou mon argent. Malgré cela j'étais libre, mais confronté à des difficultés car j'étais sans abri, sans argent de poche et sans assistance médicale. J'ai dû me débrouiller seul dans un pays dont je ne parlais pas la langue et dont je ne connaissais pas les règles.𝑨𝒗𝒂𝒏𝒕 𝒆𝒏 𝑺𝒖𝒊𝒔𝒔𝒆Cinq mois avant, à Berne, où j'ai commencé mes procédures de demande d'asile, j'ai été orienté vers un camp, à Bâle, muni d'un billet de train, des documents et une carte avec l’adresse. Au bord du Rhin, le camp d'accueil était plus terrible qu'une prison. La liste des instructions comportait par exemple : il faut avoir une autorisation pour sortir quelques heures, les machines électroniques sont interdites, garder plus que 1000 francs sur soi est interdit. Le camp était rempli de personnes vivant dans des conditions terribles : deux portions alimentaires par jour, un grand nombre de personnes par chambre, pas assez de toilettes et de salle de bains. Peut-être allait-on vous envoyer en France selon le traité de Dublin : « Vous êtes entrés dans l'UE par la France, donc votre dossier doit être traité en France », me dit l'inspecteur au cours du premier rendez-vous au camp d’accueil. Peut-être que ma carrière de journaliste et ma maîtrise de l'allemand ont contribué à mon transfert immédiat dans un autre complexe à Bâle ou les conditions seraient peut-être meilleures. Dans la campagne bâloise, j'ai passé quelques jours dans le camp de réfugiés, à la frontière avec la France. Cette région s'appelle Allschwil. À ce moment-là, je découvrais la nature française, où je me promenais à pied à la fois sur le territoire français et sur le territoire suisse.𝑺𝒂𝒏𝒔 𝒉𝒆́𝒃𝒆𝒓𝒈𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕Ensuite, j’ai été transféré de nouveau à Berne et hébergé dans un bunker servant d'abri atomique, avec 80 autres personnes, des migrants et puis d'autres demandeurs d’asile au grand camp campagnard de Berne où je suis resté presque cinq mois. À la fin j’ai reçu le refus de ma demande en raison des règles du traité de Dublin, c'est pourquoi je suis dans l'hexagone maintenant.Après un trajet en bus, puis en métro, je suis arrivé à la préfecture de Marseille qui était fermée à mon arrivée à 17h30. Le garde de faction m'a dit : « vous devez revenir lundi" parce que nous étions un vendredi et que le week-end la préfecture était fermée. Ce fut une journée épuisante physiquement et moralement car j’avais le sentiment de tourner en rond, comme dans un labyrinthe. J’ai demandé au gardien, en anglais : « où puis-je dormir, il n'y a aucun hébergement pour les demandeurs d'asile en France ? qu'est-ce que je dois faire ? ». Ne comprenant pas, il m'a simplement dit "bonsoir, monsieur, à lundi matin".𝑳'𝒂𝒗𝒐𝒄𝒂𝒕 𝒕𝒖𝒏𝒊𝒔𝒊𝒆𝒏J'ai imaginé un autre plan, celui d'appeler un avocat français d'origine tunisienne qui résidant à Marseille. Cet avocat était l'ami d'un de mes amis journalistes. Mon ami Noureddine m'a conseillé de l'appeler. Je lui ai téléphoné, mais cela a été difficile de comprendre où il voulait me voir car je ne savais pas lire les noms de rue écrits en français.Après un voyage fatigant où je tirais une valise et portais un sac à dos, je suis arrivé à l'endroit où l'avocat m'attendait. Il a été très gentil avec moi, et m'a expliqué les conditions de demande d'asile en France, insistant sur le fait qu'il n'y avait pas de logement. « Il faut que tu attendes longtemps. La priorité est donnée aux familles. Tu peux contacter les associations pour avoir un hébergement. Je peux cependant t'accueillir cette nuit mais demain tu devras te débrouiller. D'accord ? » il m’a dit. 𝑳'𝒆𝒏𝒇𝒆𝒓 𝒅𝒆 𝑴𝒂𝒓𝒔𝒆𝒊𝒍𝒍𝒆Marseille pour moi était une mauvaise surprise, car ce n'est pas comme je l'ai vu dans les photos. Contrairement à la Suisse, ici je me sentais comme dans une ville arabe. « Ce n'est pas l'Europe, je me suis trompé de faire ce choix, mais ce n'était pas mon choix. J'étais obligé de quitter le paradis », comme j'ai décrit Suisse dans un article que j'ai écrit là-bas. Mais le côté positif du séjour à Marseille, c'est la langue arabe qui se parle dans la ville : comme ça, je n'avais pas beaucoup besoin du français.La première nuit à Marseille s'est bien passée, suite à cette épuisante journée. Mais la tête n'était pas en forme, car je n'étais pas calme. J’étais inquiet des prochaines étapes. C'est une phase fatidique de ma vie, après la déportation de Suisse, car je ne connaissais pas bien la France. C’était un moment où je me sentais frustré et déçu, après mon retour du paradis aux enfer. Je ressentais que je suis Adam qui a été chassé du paradis mais Ève c'est l'accord Dublin !
𝑨̀ 𝑴𝒂𝒓𝒔𝒆𝒊𝒍𝒍𝒆 : 𝑺𝒖𝒊𝒔- 𝒋𝒆 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒖𝒏𝒆 𝒄𝒂𝒑𝒊𝒕𝒂𝒍𝒆 𝒂𝒓𝒂𝒃𝒆?
𝐂𝐞 𝐧'𝐞́𝐭𝐚𝐢𝐭 𝐩𝐚𝐬 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐨𝐫𝐭 𝐪𝐮𝐞 𝐣𝐞 𝐬𝐮𝐢𝐬 𝐝𝐞́𝐩𝐨𝐫𝐭𝐞́ 𝐝𝐞 𝐁𝐞𝐫𝐧𝐞 𝐚̀ 𝐌𝐚𝐫𝐬𝐞𝐢𝐥𝐥𝐞. 𝐦𝐨𝐧 𝐫𝐞̂𝐯𝐞 𝐞́𝐭𝐚𝐢𝐭 𝐪𝐮𝐞 𝐣𝐞 𝐬𝐞𝐫𝐚𝐢 𝐮𝐧 𝐫𝐞́𝐟𝐮𝐠𝐢𝐞 𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐞𝐧 𝐒𝐮𝐢𝐬𝐬𝐞. 𝐌𝐚𝐢𝐬 𝐥𝐞 𝐧𝐞́𝐜𝐞𝐬𝐬𝐚𝐢𝐫𝐞 𝐜𝐚𝐬 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐦𝐨𝐢 𝐞́𝐭𝐞́ 𝐝𝐞 𝐭𝐫𝐨𝐮𝐯𝐞𝐫 𝐮𝐧 𝐫𝐞𝐟𝐮𝐠𝐞 𝐨𝐮̀ 𝐣𝐞 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐢𝐧𝐮𝐞𝐫𝐚𝐢 𝐦𝐚 𝐯𝐢𝐞 𝐥𝐨𝐢𝐧 𝐝𝐞𝐬 𝐦𝐞𝐧𝐚𝐜𝐞𝐬 𝐞𝐭 𝐝𝐚𝐧𝐬 𝐥'𝐚𝐦𝐛𝐢𝐚𝐧𝐜𝐞 𝐝𝐞 𝐥𝐢𝐛𝐞𝐫𝐭𝐞́ 𝐞𝐭 𝐩𝐚𝐢𝐱. 𝐌𝐚 𝐩𝐫𝐞𝐦𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐢𝐦𝐩𝐫𝐞𝐬𝐬𝐢𝐨𝐧 𝐪𝐮𝐚𝐧𝐝 𝐣𝐞 𝐬𝐮𝐢𝐬 𝐚𝐫𝐫𝐢𝐯𝐞́ 𝐚̀ 𝐌𝐚𝐫𝐬𝐞𝐢𝐥𝐥𝐞, 𝐣’𝐞́𝐭𝐚𝐢𝐬 𝐝𝐞́𝐜̧𝐮, 𝐟𝐚𝐭𝐢𝐠𝐮𝐞́ 𝐞𝐭 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐮𝐬𝐞 𝐝𝐞 𝐦𝐚 𝐟𝐮𝐭𝐮𝐫𝐞. 𝐣'𝐚𝐢 𝐞𝐮 𝐛𝐞𝐚𝐮𝐜𝐨𝐮𝐩 𝐝𝐞 𝐝𝐢𝐟𝐟𝐢𝐜𝐮𝐥𝐭𝐞́𝐬.
À midi, ce vendredi 21 octobre 2016, l'avion, venant de Suisse via l’Allemagne, atterrissait sur la piste de l'aéroport de Marignane à Marseille. Ce voyage m'avait été imposé pour respecter le règlement de Dublin qui régit les demandes d’asile au niveau de l’UE. En effet, lorsqu'un migrant demande l'asile dans un pays de l'UE, c'est le premier pays de l'Union Européenne, par lequel il entre qui doit traiter sa demande. J'aurais préféré être accepté en Suisse où ma demande d'asile avait été déposée, le 1er juin 2016.
Après avoir attendu, j'ai vu ma demande refusée et j'ai été renvoyé vers Marseille. J'étais ce qu'on appelle « un dubliné » (si une personne est entrée dans l'UE par un de ses pays, elle doit déposer sa demande d'asile dans ce pays européen, elle est alors appelée « dublinée »).
La vue de Marseille depuis le ciel était splendide avec la colline sur laquelle se trouve la Basilique Notre- Dame de la Garde qui domine la Méditerranée. Les bateaux de pêche brillent au milieu de la houle. Les petits nuages laissent entrevoir des espaces verts, roches, maisons, routes et lacs. En contrepartie il y avait des nuages de fumées des zones industrielles et des usines polyvalentes. Voici à quoi ressemblait le sud de la France par le hublot de l'avion où je me trouvais.
En tant que prisonnier, mais sans menottes, j'ai été embarqué dans l'avion, sur l'aéroport de la ville de Zurich, pour Marseille, via Düsseldorf. Plus étonnant, il y avait un policier français qui m'attendait devant la porte de l'avion. Il m'a parlé en allemand : " Guten Tag Herr Atwi, willkomen in Frankreich". Mon passeport et les documents d'expulsion de Suisse vers la France étaient toujours entre les mains de l'équipage. Comme à Zurich et à Düsseldorf, un policier m'attendait à à la porte de l'avion. Le policier français m'a accompagné en salle d'attente. Il m'a demandé de ne pas la quitter avant la fin de la procédure d'accueil.
𝑫𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒂 𝒔𝒂𝒍𝒍𝒆 𝒅'𝒂𝒕𝒕𝒆𝒏𝒕𝒆
Après avoir attendu trois heures sans déjeuner, une policière m'a reçu pour remplir les papiers de demandeur d'asile. Heureusement, elle parlait anglais. Je pensais qu'elle était arabe, car elle en présentait les traits. A ce moment-là, je ne savais pas que le destin m'orientait vers cette grande ville française, Marseille, mais cette perspective m'a donné l'espoir d'un avenir pas trop sombre. La policière était stricte, tellement qu'elle ne m'a pas expliqué comment j'allais me rendre dans le centre de Marseille. "Il y a un bus à l'extérieur, bonne chance !" m'avait-elle dit puis, elle a mis fin à la réunion. Je me sentais seul, désorienté, épuisé et perdu en attendant le bus qui devait me conduire vers la gare Saint-Charles.
Contrairement aux dispositions suisses, la France était plus flexible, mais plus difficile. La flexibilité était qu'on n'avait pas vérifié ma valise, mes affaires électroniques ou mon argent. Malgré cela j'étais libre, mais confronté à des difficultés car j'étais sans abri, sans argent de poche et sans assistance médicale. J'ai dû me débrouiller seul dans un pays dont je ne parlais pas la langue et dont je ne connaissais pas les règles.
𝑨𝒗𝒂𝒏𝒕 𝒆𝒏 𝑺𝒖𝒊𝒔𝒔𝒆
Cinq mois avant, à Berne, où j'ai commencé mes procédures de demande d'asile, j'ai été orienté vers un camp, à Bâle, muni d'un billet de train, des documents et une carte avec l’adresse. Au bord du Rhin, le camp d'accueil était plus terrible qu'une prison. La liste des instructions comportait par exemple : il faut avoir une autorisation pour sortir quelques heures, les machines électroniques sont interdites, garder plus que 1000 francs sur soi est interdit. Le camp était rempli de personnes vivant dans des conditions terribles : deux portions alimentaires par jour, un grand nombre de personnes par chambre, pas assez de toilettes et de salle de bains.
Peut-être allait-on vous envoyer en France selon le traité de Dublin : « Vous êtes entrés dans l'UE par la France, donc votre dossier doit être traité en France », me dit l'inspecteur au cours du premier rendez-vous au camp d’accueil. Peut-être que ma carrière de journaliste et ma maîtrise de l'allemand ont contribué à mon transfert immédiat dans un autre complexe à Bâle ou les conditions seraient peut-être meilleures. Dans la campagne bâloise, j'ai passé quelques jours dans le camp de réfugiés, à la frontière avec la France. Cette région s'appelle Allschwil. À ce moment-là, je découvrais la nature française, où je me promenais à pied à la fois sur le territoire français et sur le territoire suisse.
𝑺𝒂𝒏𝒔 𝒉𝒆́𝒃𝒆𝒓𝒈𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕
Ensuite, j’ai été transféré de nouveau à Berne et hébergé dans un bunker servant d'abri atomique, avec 80 autres personnes, des migrants et puis d'autres demandeurs d’asile au grand camp campagnard de Berne où je suis resté presque cinq mois. À la fin j’ai reçu le refus de ma demande en raison des règles du traité de Dublin, c'est pourquoi je suis dans l'hexagone maintenant.
Après un trajet en bus, puis en métro, je suis arrivé à la préfecture de Marseille qui était fermée à mon arrivée à 17h30. Le garde de faction m'a dit : « vous devez revenir lundi" parce que nous étions un vendredi et que le week-end la préfecture était fermée. Ce fut une journée épuisante physiquement et moralement car j’avais le sentiment de tourner en rond, comme dans un labyrinthe. J’ai demandé au gardien, en anglais : « où puis-je dormir, il n'y a aucun hébergement pour les demandeurs d'asile en France ? qu'est-ce que je dois faire ? ». Ne comprenant pas, il m'a simplement dit "bonsoir, monsieur, à lundi matin".
𝑳'𝒂𝒗𝒐𝒄𝒂𝒕 𝒕𝒖𝒏𝒊𝒔𝒊𝒆𝒏
J'ai imaginé un autre plan, celui d'appeler un avocat français d'origine tunisienne qui résidant à Marseille. Cet avocat était l'ami d'un de mes amis journalistes. Mon ami Noureddine m'a conseillé de l'appeler. Je lui ai téléphoné, mais cela a été difficile de comprendre où il voulait me voir car je ne savais pas lire les noms de rue écrits en français.
Après un voyage fatigant où je tirais une valise et portais un sac à dos, je suis arrivé à l'endroit où l'avocat m'attendait. Il a été très gentil avec moi, et m'a expliqué les conditions de demande d'asile en France, insistant sur le fait qu'il n'y avait pas de logement. « Il faut que tu attendes longtemps. La priorité est donnée aux familles. Tu peux contacter les associations pour avoir un hébergement. Je peux cependant t'accueillir cette nuit mais demain tu devras te débrouiller. D'accord ? » il m’a dit.
𝑳'𝒆𝒏𝒇𝒆𝒓 𝒅𝒆 𝑴𝒂𝒓𝒔𝒆𝒊𝒍𝒍𝒆
Marseille pour moi était une mauvaise surprise, car ce n'est pas comme je l'ai vu dans les photos. Contrairement à la Suisse, ici je me sentais comme dans une ville arabe. « Ce n'est pas l'Europe, je me suis trompé de faire ce choix, mais ce n'était pas mon choix. J'étais obligé de quitter le paradis », comme j'ai décrit Suisse dans un article que j'ai écrit là-bas. Mais le côté positif du séjour à Marseille, c'est la langue arabe qui se parle dans la ville : comme ça, je n'avais pas beaucoup besoin du français.
La première nuit à Marseille s'est bien passée, suite à cette épuisante journée. Mais la tête n'était pas en forme, car je n'étais pas calme. J’étais inquiet des prochaines étapes. C'est une phase fatidique de ma vie, après la déportation de Suisse, car je ne connaissais pas bien la France. C’était un moment où je me sentais frustré et déçu, après mon retour du paradis aux enfer. Je ressentais que je suis Adam qui a été chassé du paradis mais Ève c'est l'accord Dublin !
( à suivre)
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